Que faire des émotions au travail ?
Il va sans dire que tous les confinements successifs ont mis à rude épreuve nos émotions et principalement la peur liée à l’incertitude voire la peur sur sa propre santé. Mais je constate que le droit à la faiblesse, nouveau pendant ce confinement, ne fait plus l’unanimité au sortir de la crise.
Aussi je me suis posé la question : doit-on évoquer ses émotions en entreprise ? Seulement son irritation ? Que son enthousiasme ou sa joie ? Doit-on aller jusqu’à exprimer ses peurs ou sa tristesse ?
Je me souviens d’une séance de coaching où ma cliente me disait « être un robot », « une machine de travail sans véritable sens ». Les séances étaient le seul exutoire de ses émotions avant que la transformation, grâce à un travail de régulation des émotions (j’écris à dessin régulation et non gestion !), n’opère et qu’elle s’autorise l’expression des émotions même sur son lieu de travail.
Quelle est la place de l’organisation dans tout ça ?
J’ai souvent entendu que les émotions relevaient de la sphère privée. Il y a encore quelques dizaines d’années, certaines entreprises ne permettaient même pas d’échanger entre salariés. Dans d’autres, l’arrivée des « openspaces » a coïncidé avec le contrôle social … des émotions. Il n’était en effet pas bien vu de faire des vagues devant autant de monde. Certaines entreprises préfèrent toujours l’expression d’une singularité disons … plus « corporate ». La publicité en est l’exemple le plus parfait : « soyez-vous même … achetez cette voiture !«
Soyez vous-même ?
En effet, comme le relate Sophie Le Garec dans Les servitudes du bien-être au travail, les injonctions à l’authenticité du style « soyez vous-même » se confrontent aux attentes très normées du travail en entreprise. Comme si chacun d’entre nous, de manière à montrer le meilleur de soi, devait en permanence affirmer sa personnalité à travers son travail.
Quelle est la conséquence à taire ses émotions ?
Pourtant, grâce à la neuroscience, nous savons que taire ses émotions a un coût psychique très élevé et conduit à l’augmentation des risques psychosociaux voire des burn-outs. Selon Gallup (mars 2020), 76 % des salariés sont confrontés à l’épuisement professionnel au moins « parfois », et 28 % déclarent être épuisés « très souvent » ou « toujours » au travail.
Mettre le couvercle sur une situation difficile est la stratégie la plus utilisée. Cela revient à subir à la situation, voire en être victime. Je suis conscient qu’écrire cela bousculera certains.
Récemment, un de mes clients me disaient : « je me suis détaché très vite du choc de l’annonce et je l’ai mise de côté, je n’ai rien dit sur le moment. » Quelques jours plus tard, c’est le corps qui s’exprimait par une grande fatigue, une grande lassitude et une absence de motivation.
Pourtant l’émotion, du latin ex movere est ce qui nous met en mouvement et nous fait passer à l’action. L’émotion est aussi bien un signal d’alarme qu’un messager. Elle oriente toutes nos décisions, nos actions et nos pensées. Les émotions servent à restaurer la stabilité de l’organisme. Par exemple, la peur permet de se maintenir en sécurité ou de fuir un danger. La colère restaure notre place dans le groupe ou intervient quand notre valeur dans le groupe, nos valeurs et croyances sont en jeu. Quant à la tristesse, elle nous permet de revenir à nous-mêmes en remobilisant notre attention sur nous pour mieux comprendre ce qu’il se passe.
Ajustements créateurs ou conservateurs ?
Ces déclencheurs sont générateurs de stress dont le but est de nous faire bouger voire évoluer. Cela permet deux choses soit des ajustements conservateurs (on est « victime » de la situation mais pas reconnu dans son statut de victime, on réagit), soit des ajustements créateurs (on est « acteur » de la situation et on revient à ce que l’on peut faire à son propre niveau, on agit donc).
Comprendre par quelle(s) émotion(s) nous sommes traversés est donc fondamental. Les émotions et les comportements qui en découlent ont des racines profondes de notre passé développemental à l’âge adulte. Parfois il est nécessaire de se faire accompagner pour en prendre conscience.
Happy management ou la réponse de l’organisation ?
A ma grande surprise, ce n’est pas l’orientation que prennent beaucoup d’entreprises. Je voudrais revenir sur une nouvelle vague de management qui suscite chez moi quelques interrogations : celle du bien-être ou « happy management« . Bien-sûr intégrer un management comprenant une dose d’intelligence émotionnelle et de positivité peut contribuer à diminuer les situations de risques psychosociaux et permettre l’expression des émotions de manière moins « corporate ».
Malheureusement, je ne lis que des injonctions à la positivité, l’empathie et à la bienveillance alors qu’il existe une très large palette d’approches autorisant d’autres expressions ! Souvent la communication non violente (CNV) est présentée comme une solution mais bien peu peuvent communiquer de façon bienveillante quand ils sont submergés par la peur, la colère ou la tristesse. C’est comme si l’organisation de l’entreprise reposait sur la seule « gestion » des émotions du salarié. Pourtant comme l’écrit Sophie Le Garrec, c’est bien l’organisation du travail dans son ensemble qui influence le bien-être du salarié.
Que faîtes-vous de vos émotions au travail ? Parlons en !
Sources : Management 05/2021, HBR, Psychologie de la motivation (Héloïse Lhérété – Sciences Humaines Editions), Les servitudes du bien-être au travail (Sophie Le Garrec – Erès), Gallup Workplace, Quand le travail rend fou: Pour que ça change ! (Lujan, Karli, Hubert – L’Harmattan)
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